Une journée particulière à Genève

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Ce matin-là, en allant au parc des Bastions situé à la place de Neuve à Genève, nous n’avions rien prévu de spécial. Juste un petit pique-nique bien rangé dans un sac à dos et nous étions lancés tous les trois. Les deux autres protagonistes de l’histoire ne sont autres qu’Antoine et Alexandre, mes enfants, qui adorent ce parc de la ville.  

Arrivés à notre spot habituel, nous avons posé nos affaires sur la table mise à disposition par le parc. Les enfants avaient déjà faim alors je sortis la petite nappe colorée et posais les tartines, fruits et légumes que j’avais préparés. Très vite, Alexandre manifesta son mécontentement. « Ce n’est pas un vrai pique-nique maman parce que nous ne sommes pas assis sur le gazon par terre ». Il est vrai que nous n’avions pas amené une grande nappe à étendre sur le gazon. Malgré l’entêtement de mon petit, je lui explique quand même que, parfois, il est possible de pique-niquer bien assis sans trop souffrir, que l’expérience serait la même. Il n’était pas très convaincu et commença à manger son sandwich avec appétit. Je ne sais pas à quoi il pensait exactement à ce moment-là. Moi j’attendais le moment où les deux seraient très occupés à jouer et se salir dans le sable pour reprendre la lecture de mon livre. J’étais dans le deuxième volet du Cycle du Cimetière des livres oubliés de Carlos Ruiz Zafon que j’espérais aussi savoureux que le premier.

Après diverses disputes entre eux, avec les autres, avec l’écureuil qui allait et venait autour, les enfants ne voulaient plus jouer dans le sable. J’avais lu deux ou trois pages au grand maximum. Mon café avait refroidi avec tous les allers retours vers l’aire de jeux. « Je n’ai pas envie que tu lises maman, je veux jouer avec toi, c’est ennuyant de jouer tout seul ! » réclamait le plus jeune. Jouer du tennis avec deux raquettes de ping-pong pouvait être amusant tant qu’on courait vite chercher la seule balle existante.

La journée passait « tranquillement » dans ce beau cadre parsemé d’échiquiers. «Sérieux, ce n’est pas un vrai pique-nique maman parce qu’on peut acheter des glaces du kiosque du parc » s’aventurait cette fois le plus grand. Je continuais à défendre ce petit programme et le transformais en aventure extraordinaire. Les enfants commençaient à roder autour de moi signe qu’il était temps de partir, de changer d’endroit ou de rentrer à la maison. Je mis le livre dans mon sac après avoir fini de lire la quatrième page et d’avoir fait un petit tour dans Barcelone, la ville natale de l’écrivain. « Si nous allions découvrir une ludothèque dans la vieille ville de Genève ! » Il fallait marcher un peu mais il faisait tellement beau en ce mois d’Octobre. L’appartement pouvait attendre.

En passant par le mur des Réformateurs, monument international de la Reformation, situé au milieu du parc construit en 1909 pour le 400ème anniversaire de la naissance de Calvin et le 350ème anniversaire de la fondation de l’Académie de Genève devenue l’Université de Genève, Alexandre ne manqua pas de me rappeler que le prochain pique-nique devait avoir lieu sur le gazon. A défaut de devenir folle, je déclarais être parfaitement d’accord et je lui dis que je prenais note pour la prochaine fois. En même temps, Je saluais des yeux les quatre grands réformateurs, Jean Calvin, Guillaume Farel, Théodore de Bez et John Knox, gravés de la tête aux pieds dans la pierre de cet impressionnant mur. 

L’entrée dans la vielle ville par la Rue Julienne Piachaud était plutôt plate et progressivement en pente. Nous longeâmes les murs. L’endroit qu’on m’avait indiqué qui se nomme « Manège en Ville » était fermé à notre grande déception. Une table de babyfoot nous attendait au coin de la rue. Une balle était disponible, il suffisait juste de venir découvrir ce jeu. Antoine était déjà prêt. Après quelques parties que j’ai perdues contre mon fils de sept ans, il était temps de bouger. Le mieux était de remonter vers la place du Bourg-de-Four pour replonger vers la rue du Marché et prendre le tram qui traverse la ville vers la Commune de Carouge.

Ce que je ne savais pas c’est que les garçons n’étaient pas du tout prêts à rentrer chez eux. La place du Bourg-du-Four était bondée de touristes presque étonnés de pouvoir profiter d’un si beau temps en Octobre. « Maman on monte les escaliers », m’avertit Alexandre. J’avais du mal à suivre, ils étaient déjà en train de monter la rue de la Fontaine pour rejoindre la Terrasse Agrippa-d’Aubigné. Heureusement, j’ai échappé au passage « Degrés-de-Poule », des escaliers raides servant de raccourci dans les immeubles pour arriver au haut de la vielle ville. Une jolie vue de Genève nous attendait avec le jet d’eau et le lac Léman. Je me disais que c’était une bonne idée d’aller se balader au bord du lac. Mais les enfants en avaient décidé autrement. Antoine avait remarqué des gens marchant dans les tours de la Cathédrale protestante Saint-Pierre, la plus grande de la ville.

« Allons-y maman, j’aimerais tellement faire comme eux ». La machine était en marche comme s’il était encore huit heures du matin. La seule du groupe à être exténuée, j’étais en face des marches de la grande cathédrale dans une ambiance un peu austère de la vieille ville. Juste à côté, le musée de la Réforme avait rouvert ses portes mais c’était pour un autre jour. Antoine et Alexandre s’impatientaient déjà de ne pas être à l’intérieur à chercher l’accès aux tours de la cathédrale. A l’intérieur, cette Cathédrale datant du 4ème siècle était illuminée par de très beaux vitraux colorés qui tentaient en vain d’adoucir l’ambiance des lieux.

La billetterie pour les tours était toujours ouverte. A la demande des trois billets, le vendeur assis derrière la vitre s’exclama sans retenue : «  Mais vous êtes libanaise ! ».

Mon accent chantonnant me trahissait toujours. Bien sûr, ce monsieur avait des amis libanais et avait été au Liban pas plus loin que le mois de Juin.

Il continue sans attendre ma réaction : « J’ai résidé à côté du Musée National de Beyrouth ».

« Ah je vois, à Badaro » lui répondis-je.

« Oui c’est bien cela. Vous savez, j’ai été au Liban pour soigner mes dents. Un merveilleux pays. » Rétorque-t-il.

J’acquiesçais de la tête sans commenter ses problèmes de dents et le choix du Liban pour ce genre d’intervention. Les enfants écoutaient l’échange en silence. Je sentais qu’ils s’étaient téléportés en quelques instants au Liban et que des images familières de la ville, de la  famille, de leur maison s’étaient incrustées dans leur petite tête.

Les billets en main, il n’y avait plus un instant à perdre. Direction une vieille porte ancienne rouge pour accéder aux grandes tours. « N’oubliez pas, vous visitez les deux tours en passant d’un coté à l’autre. C’est comme un grand H, avait précisé le guide ». L’information avait été bien saisie par Antoine qui traçait la route devant nous.

Les escaliers qui menaient aux tours étaient très raides et en colimaçon. Le passage était si étroit qu’il a fallu installer un feu rouge régulant le passage des visiteurs. Nous étions amusés par ce petit détail si genevois. Une fois le feu au vert, nous avons pu entamer notre montée. D’abord, un petit arrêt à un étage intermédiaire nous a permis de voir une ou deux grosses cloches impressionnantes de l’église. L’une d’elle installée en 1407 s’appelait La Clémence et pesait 6 tonnes. Elle avait été offerte en hommage à l’antipape Clément VII d’Avignon. En suivant le chemin, nous avons finalement accédé aux deux tours et admiré la vue panoramique à 360 degrés de Genève, du Salève, des petits toits en tuile, de la flèche de la Cathédrale faite en cuivre vert, du lac Léman, du jet d’eau et de tous les bateaux qui dessinaient le lac par ce magnifique beau temps. Il parait qu’on aurait même pu voir le Mont Blanc au loin.

La descente était un peu plus problématique surtout pour Alexandre qui ne savait plus à quoi s’agripper. Nous voilà arrivés en bas avec soulagement. Les garçons n’avaient pas compté les marches mais, selon Antoine, il y avait une bonne centaine. J’ai vérifié et en effet, 157 marches menaient à la tour nord de la Cathédrale.

De retour à la grande place en face de la Cathédrale, je les regarde jouer. Ils sont toujours en forme malgré tout. Ils ont la force de se poursuivre, de se disputer pour une châtaigne, de dire bonjour à des inconnus, de demander de caresser le chien d’une passante, de grimper sur un minuscule arbuste qui ne va sûrement pas tenir leur poids. 

Il est déjà dix-sept heure trente. L’heure de retrouver le tramway pour rentrer. « Maman nous avons bien marché, nous méritons un tour de manège ». Passer devant le carrousel de la place de la Madeleine qui existe depuis l’an 1848, sans faire un ou deux tours, est quasiment impossible. Je hoche la tête sachant fort bien que je n’ai d’autres choix que de céder aux exigences de mes petits tyrans en devenir. Ils couraient choisir sur quoi grimper les billets de manège en main. Ce n’est qu’une fois assise en face d’eux que je remarquais, à ma grande surprise, que le carrousel, au beau milieu de Genève, jouait une chanson en arabe que je ne connaissais pas ! Incroyable mais vrai, le Liban nous suivait dans chacun de nos pas.

De retour dans le tram, les deux aventuriers faisaient tout pour cacher leur fatigue. Pourtant, Antoine remarque bien par la fenêtre les statues nouvellement installées à la rue de la Confédération et ne manque pas de prendre en photo, à l’aide de mon portable, un énorme gorille bleu scintillant.

Arrivé à la commune de Carouge place du marché, à peine sorti du tram, Antoine avance vers moi avec une grande fleur qu’il vient d’arracher d’un petit espace joliment agencé par la ville de Genève. Je le regarde étrangement, je le remercie et je l’embrasse puis je lui explique, un peu à contrecœur, que ces fleurs ne sont pas des fleurs des champs et qu’il est formellement interdit de les arracher même pour les offrir à sa maman. Il est un peu triste d’entendre cette remarque. Il se justifie rapidement puis repart taquiner Alexandre comme si tout était oublié.

Je les regarde sautiller maladroitement en direction de la maison puisant le peu d’énergie qu’ils avaient encore en eux. Ils sont fiers de leur journée et de leurs découvertes au fil des rues et des sentiers de Genève. Ils traversent la petite route qui nous sépare de l’entrée de l’immeuble sans faire attention aux voitures. Je me retiens cette fois de leur faire encore des remarques.

Je souris, je les aime plus que tout dans ces moment-là.

6 réflexions au sujet de « Une journée particulière à Genève »

    Suzane Abi Khalil a dit:
    13 octobre 2023 à 06:50

    Beautiful, I enjoyed reading it!

    KHOURI Zéna a dit:
    13 octobre 2023 à 20:05

    Ma Jojo ! Ton récit tiens en haleine! Beaucoup de talent et beaucoup d’amour.
    Bravo !

    ritamurr a dit:
    4 novembre 2023 à 09:43

    Jojo j adore

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